Le concept et la logique du taux d'intérêt
Le taux d'intérêt est un concept capital en théorie financière
et en finance "pratique" d'entreprise ; il se trouve au cœur de
tous les développements relatifs aux marchés financiers et il est
présent, directement ou indirectement, dans les décisions d'investissement,
de désinvestissement et de financement .
II est classique d'affirmer que le taux d'intérêt est une "donnée"
du marché financier qui exprime une préférence à
l'égard du temps, qui rémunère l'abstention de consommer
et qui comporte une prime de risque. Nous allons justifier ces affirmations
en nous référant à quelques grands postulats macro-économiques
et micro-économiques'.
- Les lectures macro-économiques de l'intérêt
Le taux d'intérêt, son existence et sa formation font l'objet,
classiquement, d'une controverse entre économistes selon que ceux-ci
se réclament de la théorie monétariste ou de la théorie
keynésienne ; en simplifiant, signalons que :
- selon les "monétaristes", le taux d'intérêt
indique un effet d'attente et d'anticipation de variations de prix ;
- selon les "keynésiens", le taux d'intérêt traduit
un "équilibre" entre la demande (ou besoins) et l'offre (ou
sources) de capitaux.
Ces deux approches se situent, on l'aura compris, dans le cadre d'une économie
monétaire, c'est-à-dire dans le cadre d'un marché (de biens
physiques et) de capitaux.
L'observation de la réalité (échecs des politiques économiques
de plusieurs Etats, soubresauts conjoncturels, etc.) donne l'impression qu'aucune
de ces approches ne se suffit à elle-même pour expliquer l'évolution
des taux d'intérêt. Il est probable en fait que chacune comporte
une part de vérité complémentaire de l'autre.
On peut en tout cas comprendre, ne serait-ce que par intuition, que les agents
économiques rationnels (particuliers, ménages, entre-prises, ...)
:
- présentent en général une aversion envers le risque en
ce sens que les revenus futurs leur paraissent plus risqués (et d'autant
plus risqués qu'ils sont éloignés dans le temps) que les
revenus présents ;
- retirent des revenus futurs une utilité (ou satisfaction) marginale
d'autant plus faible que l'échéance de ces revenus est éloignée.
Ainsi, toutes choses étant égales par ailleurs, les agents économiques,
raisonnant sur plusieurs périodes (c'est-à-dire en "inter-temporel"),
vont marquer une préférence pour le présent : ce postulat
permet déjà d'expliquer en partie l'existence et la hauteur d'un
taux d'intérêt dans la mesure où ce dernier :
- reflète une préférence à l'égard du temps
- et exprime une attitude envers le risque.
Par ailleurs, il est clair que, sur un marché réel de capitaux,
un ensemble de prêteurs de fonds va confronter ses points de vue de préférence
inter-temporelle et d'attitude envers le risque à ceux d'un ensemble
d'emprunteurs (de fonds) et qu'ils vont, tous deux, envisager des "transferts"
d'argent, c'est-à-dire des opérations d'offres et de demandes
de capitaux. Ils vont aussi chercher à "négocier" les
conditions financières de ces opérations : ainsi, les prêteurs
se diront que s'ils prêtent aujourd'hui leur argent (donc leur épargne
ou leur revenu actuel), ils se privent de le consommer immédiatement
(par exemple, dans l'acquisition de biens) et il leur semblera tout à
fait logique de réclamer aux emprunteurs un dédommagement, c'est-à-dire
une rémunération pour leur abstention de consommer ; ils majoreront
cette rémunération s'il leur paraît en outre que les prêts
qu'ils consentent sont exposés à des risques (tels que l'inflation,
l'insolvabilité possible des emprunteurs à l'échéance,
etc.).
On comprend dès lors, à ce stade du raisonnement, que le taux
d'intérêt est aussi :
- d'une part, le résultat de cet ensemble d'opérations et, donc,
un élément qui obéit à une loi classique de l'offre
et de la demande (telle qu'elle s'applique pour n'importe quel bien) ;
- d'autre part, la rémunération de l'abstention de consommer,
éventuellement augmentée d'une prime destinée à
couvrir les risques.
En conséquence, le taux d'intérêt va jouer un rôle
d'arbitre au niveau des agrégats de prêts et d'emprunts :
- les prêteurs voudront bien offrir des capitaux au taux d'intérêt
i dans la mesure où ce taux i rémunère leur abstention
de consommer et les risques pris ;
- les emprunteurs voudront bien solliciter des fonds au taux ( à condition
que les investissements qu'ils se préparent à réaliser
avec ces fonds leur rapportent ou leur permettent d'espérer un rende-ment
au moins égal à ce taux ('.
En définitive, la confrontation des offres globales et des demandes globales
de fonds aboutit à fixer un taux d'intérêt d'équilibre
en fonction d'une quantité d'équilibre de transactions entre les
prêteurs et les emprunteurs. Ce taux d'intérêt est purement
"illustratif" car il gomme les différences individuelles des
prêteurs et des emprunteurs. Il suppose, en d'autres termes et par exemple,
que tous les emprunteurs présentent les mêmes risques aux yeux
des prêteurs et que les prêteurs, ayant les mêmes anticipations,
exigent les mêmes rémunérations de l'abstention de consommer
et de la prise de risques, quel que soit l'emprunteur. On verra plus loin qu'au
cas par cas, ce raisonnement "macro-économique" justifie d'importantes
nuances et adaptations.
Ajoutons encore que, même si son processus de formation reste toujours
fondamentalement fidèle à la logique que nous venons de synthétiser,
le taux d'intérêt d'équilibre est, en termes de niveau ou
de hauteur, soumis à un certain nombre de variables exogènes,
elles aussi macro-économiques, telles que la conjoncture, l'état
du stock monétaire du pays, l'inflation générale, les échanges
commerciaux et financiers internationaux et, vraisemblablement, le budget de
l'Etat.